31 Janvier 2019
Bonne année à tous. Un projet chronophage m'a éloigné de vous. Mais je suis de retour.
Le 14 octobre 1795, le HMS Mermaid capture la corvette de la République La Républicaine dans les environs de l’île de la Grenade. A l’issue d’un combat assez rapide d’une dizaine de minutes, le bâtiment anglais a le dessus. William M. James[1] écrit que sur les 250 hommes présents il y avait un général français qui devait allait prendre le commandement de la Grenade (au nom de la France, bien sûr), sa suite et d’autres passagers. A l’issue de l’affrontement il y avait côté français environs 20 morts et quelques blessés et côté anglais 1 mort et trois blessés. C’est un affrontement assez classique, jusqu’à ce que je lise dans la correspondance officielle de la Guadeloupe ces quelques mots, le 4 pluviôse an 4 (21 janvier 1796) adresser à son excellence le gouverneur de la province de Guyana : « Nous réclamons aussi une justice éclatante et exemplaire conformément aux lois de votre pays, pour avoir introduit contre la volonté du roi d’Espagne des prisonniers de guerre français pour être vendus à la Guyana. »
[1] The Naval history of Great Britain during the French revolutionary and Napoleonic wars. Volume 1 1793-1796 Conway Maritime Press, 2002.
La colonie espagnole de Guyane ou Guyana Esequiba est actuellement comprise dans l’état du Guyana mais fait l’objet de revendications anciennes par son voisin le Venezuela. Je n’ai pas beaucoup de renseignements sur cette colonie durant les guerres de la Révolution Française. Mais ce que nous dit la lettre, c’est que parmi les français capturé sur la corvette la Républicaine, il y avait 32 « noirs français » conduits à la Grenade où ils furent vendu à un espagnol du nom de Capille qui de là les a conduits à la Guyane espagnole.
Pourquoi les autorités françaises s’inquiètent du sort de ces noirs ? C’est qu’ils ne sont pas propriété française, comme le pensait les Anglais et monsieur Capille, mais bien « citoyens français » comme les autorités françaises l’affirment au gouverneur. Car la loi française de 16 pluviôse an II (4 février 1794) abolit l’esclavage en France. Mais dans les faits Capille pensait certainement pouvoir acheter ces esclaves sans s’attirer d’ennuis. En effet il y a plusieurs exemples de propriétaires d’esclaves qui partaient à la guerre avec leurs esclaves. Puisque les esclaves sont généralement considérés comme des biens lorsqu’ils étaient capturés, ils pouvaient être vendus.
Cependant, les 32 noirs vendus à Capille sont devenu citoyens français par application du décret de la Convention Nationale du 16 pluviôse an II. Mais rien ne contraint un autre état, surtout si il pratique l’esclavage, à accorder des droits à ces nouveaux citoyens français. C’est le cas de l’Espagne et donc de sa colonie de Guyana. Alors pourquoi évoquer dans la correspondance officielle française « pour avoir introduit contre la volonté du roi d’Espagne des prisonniers de guerre français pour être vendus à la Guyana. » ?
Revenons au début de l’histoire des corsaires français de la Guadeloupe. Ils ont été autorisés par la France la veille de la déclaration de guerre au Royaume Uni de Grande-Bretagne et au stathouder des Provinces Unies, le 1er février 1793. Puis la France déclare la guerre à l’Espagne, le 7 mars. L’Espagne et la France vont signer le 22 juillet 1795, un traité de paix. Les autorités de la Guadeloupe vont recevoir le 23 vendémiaire an IV (15 octobre 1795) l’arrivée dans la colonie d’un exemplaire du traité de paix entre les deux pays. Au moment, la Guadeloupe s’adresse au gouverneur de Guyana espagnole, la France et l’Espagne ne sont pas encore alliés. Le traité de San Idelfonso ne sera signé que le 18 juin 1796. Les autorités de la Guadeloupe écrivent au gouverneur de la Guyana espagnole, dans la même lettre que «Nous réclamerons aussi une justice éclatante et exemplaire conformément aux lois de votre pays, pour avoir introduit contre la volonté du roi d’Espagne des prisonniers de guerre français pour être vendus à la Guyana. »
En fait, les 32 noirs vendus à Capille ont une autre particularité que soulève la lettre de la Guadeloupe : « …il ne souffrira pas que ses défenseurs soient venus et livrées dans votre gouvernement contre la volonté de votre Souverain même qui a expressément défendu l’introduction des noirs autre que ceux d’Afrique connus sous le nom de bossales. » En fait, l’Espagne a choisi d’utiliser le système de l’asiento pour introduire les captifs africains réduit en esclavage. Cela signifie que l’Espagne passe des contrats avec ses fournisseurs d’esclaves. Donc monsieur Capille pourrait être déclaré coupable de contrebande devant un tribunal de droit espagnol pour avoir introduit trente-deux esclaves sans autorisation formelle du roi d’Espagne.
Que sont devenus ces trente-deux noirs français, né en Amérique, combattants pour la République Française pour la conquête de la Grenade ? Rien dans les archives que j’ai pu consulté ne nous l’indique.
Vous irez porter le fer et la flamme - Ibis Rouge Editions
En pirogues, en balaous, en brigs, en goélettes... une flottille hétéroclite prend la mer au nom de la République française. Deux capitaines de corsaires seront même distingués par l'Empire ...
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