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Le blog de Myriam Alamkan

Histoire maritime et patrimoine de la Caraïbe.

Pourquoi le décret du 16 Prairial an II n’a pas été appliqué en Martinique ?

Lorsque la Convention Nationale promulgue son décret abolissant l'esclavage le 16 Prairial an II, 4 février 1794, ses colonies des Petites Antilles sont directement sous la menace britannique. En effet, une importante a quitté le Royaume Uni fin 1793 avec à sa tête l’amiral John Jervis et le général Charles Grey. La flotte arrive à la Barbade le 7 janvier 1794. Et le déplacement d’une telle expédition a bien entendu attiré l’attention des autorités françaises.

Pourquoi le décret du 16 Prairial an II n’a pas été appliqué en Martinique ?
Capture of Fort Louis Martinique 20 March 1794 par William Anderson

Capture of Fort Louis Martinique 20 March 1794 par William Anderson

Alors que la Convention Nationale vote le 16 prairial an II (4 février 1794) le décret d’abolition de l’esclavage, elle ignore que le même jour, le gouverneur de la Martinique, Donatien-Marie-Joseph de Vimeur vicomte de Rochambeau débute la rédaction de son journal du siège de la Martinique car une attaque contre la colonie est imminente.  On observe : « 30 ou 40 bâtiments venant par le Canal de Ste Lucie. » Les Anglais mettront pieds à terre le lendemain en trois points de la Martinique et enlèveront la colonie aux Français. Ces derniers signeront la capitulation en date du 23 mars 1794. La Martinique devient colonie britannique.

Bien que la Convention Nationale à Paris ait voté l’abolition de l’esclavage dans ses colonies, elle n’est effective que si le décret arrive dans chacune d’elle. Lorsque la division des Antilles appareille de Rochefort avec le décret d’abolition de l’esclavage et trois commissaires délégués de la Convention Nationale à son bord, le commandant Leissègue savait que la Martinique était anglaise. Mais ignorait la situation de la colonie de la Guadeloupe et se méfit donc lors de son atterrage vers le 3 juin 1794 et décide de se renseigner à terre et choisit de débarquer aux Salines et de prendre des informations au bourg de Saint-François ( « Vous irez porter le fer et la flamme » Myriam Alamkan. Ibis Rouge Editions 2015. page 20) La Guadeloupe était bel et bien aux mains des Anglais ! Mais nous ne ferons pas ici le récit de la reconquête française de la Guadeloupe, revenons à la Martinique. Elle n’a donc pas appliqué le décret du 16 Prairial an II parce qu’elle était sous domination anglaise au moment où le décret devait lui parvenir.

Pourquoi le décret du 16 Prairial an II n’a pas été appliqué en Martinique ?

Huit ans plus tard, en 1802, la question de l’esclavage dans les colonies françaises redeviens d’actualité au moment où la France va signer le Traité d’Amiens, mettant fin au conflit avec le Royaume-Uni le 25 mars 1802. La France va récupérer sa souveraineté sur la Martinique et Sainte-Lucie, territoire où l’esclavage est légal. Que faire ? Deux choix s’opposent soit la France y applique l’abolition de l’esclavage comme à Saint-Domingue et en Guadeloupe ou bien elle conserve l’esclavage légal uniquement pour les anciennes colonies anglaises ?

La France décide de promulguer la loi du 30 floréal an X (17 mai 1802). Cette loi aussi connue sous le nom de : « loi relative à la traite des Noirs et au régime des Colonies. »  Dans son article premier, elle précise que : « Dans les colonies restituées à la France en exécution du Traité d’Amiens, du 6 germinal an X, l’esclavage sera maintenu conformément aux lois et règlement antérieures à 1789. »  C’est ce qui sera décrit comme le retour à « l’ordre ancien ». Dans les faits, ce retour à « l’ordre ancien » sera appliqué de façon brutale en Guadeloupe en mai 1802 alors que la Martinique qui est directement concernée par la loi du 30 floréal an X, ne va l’appliquer que quelques mois plus tard car au mois de mai 1802, le traité d’Amiens n’est pas encore parvenu dans la colonie.

Pourquoi le décret du 16 Prairial an II n’a pas été appliqué en Martinique ?

La France va d’abord nommer un nouvel représentant à la tête de la Martinique et de sa « dépendance » : Sainte-Lucie. L’homme chargé de cette mission est l’amiral Villaret. De son nom complet, Louis-Thomas Villaret de Joyeuse, prendra le titre de capitaine-général des Iles de Martinique et Sainte-Lucie. Une fois nommé une expédition est chargé de se rendre en Martinique.

Ce n’est que le 13 septembre que l’amiral Villaret, mettra pieds à terre avec le gros de la division « destinée à prendre possession de la Martinique » (extrait de l’article publié dans le numéro XLVII, Nouvelles politiques, publiées à Leyde, le 3 décembre 1802).  Cet article reprend une lettre signée de l’amiral Villaret au ministre de la Marine et des colonies. L’amiral Villaret décris la prise de possession de la Martinique : « Je ne dois pas oublier, citoyen Ministre, que l’installation des nouveaux tribunaux de la colonie, sous les nouveaux titres qui leur sont assignés, la Proclamation, dont vous trouverez ci-joint plusieurs exemplaires a été publiée & affichée dans la forme ordinaire en même tems que l’Arrêté qui change quelques dénominations, & la Loi relative a la Traite des Noirs & au Régime des colonies. Une foule de Nègres accompagnoit l’Officier de Police chargé de cette publication, & faisoit retentir dans l’air les cris de vive la République ! Voilà comme ils ont reçu la Loi qui maintient l’Esclavage : Si l’on veut comparer cet accueil à celui que j’ai reçu à Saint-Domingue, quand j’allai annoncer la Liberté à leurs semblables, il est facile d’apprécier les théories & les éloquentes déclamations de leurs Amis. »

Extrait "Nouvelles politiques", publiées à Leyde, le 3 décembre 1802

Extrait "Nouvelles politiques", publiées à Leyde, le 3 décembre 1802

Sous la plume de Villaret, le mot « nègres » est synonyme d’esclaves. Et cette confusion sera-t-elle une des raisons qui conduira le capitaine-général à s’intéresser à la situation de gens de couleurs libres et à ordonner une vérification des titres de liberté, humiliant des citoyens libres depuis parfois des générations ?

Ainsi, la première abolition n’a pas été appliqué à la Martinique à cause d’une attaque britannique organisée au moment même où le vote de l’abolition de l’esclavage s’organisait en France.

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