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Le blog de Myriam Alamkan

Histoire maritime et patrimoine de la Caraïbe.

Où était le croiseur-école Jeanne d’Arc entre 1940 et 1943 ?

Le croiseur école Jeanne d’Arc, qui a navigué entre 1931 et 1964, a beaucoup marqué l’histoire de la Guadeloupe.  Certains marins y ont trouvé une épouse. D’autres se souviennent avec effrois des « marins à la Jeanne » ! Il faut dire que cette peur est directement issue des souvenirs laissés par certains marins durant les années 1940-1943. Mais lorsque, mes compatriotes consultent la page Wikipédia du croiseur Jeanne d’Arc durant ces années, ils sont surpris de voir que : «  La Jeanne d'Arc rejoint ensuite les Antilles françaises, et reste à quai ou au mouillage en Martinique jusqu'en juillet 1943 » (la citation était visible sur la page Wikipédia consulté le 27/11/2022). Alors où la Jeanne d’Arc était-elle au mouillage en Martinique ou en Guadeloupe entre 1940 et 1943 ?

Grâce à Marie de Lavigne-Aubéry, qui a consacré plusieurs travaux à cette période et au transport de l’or de la Banque de France, nous disposons de quelques précisions. Elle m’indique que le 19 septembre 1939, le croiseur Jeanne d’Arc arrive à Fort de France (Martinique) avec à son bord l’amiral Robert, nouveau Haut-Commissaire. Elle effectuera quelques missions d’escorte aux Antilles puis rentrera sur Brest après une escale à Casablanca (protectoral français du Maroc). Puis, le 21 mai 1940, 224 tonnes d’or de la Banque de France seront chargées sur le Jeanne d’Arc et le croiseur Emile Bertin à Brest. Ils rejoindront le porte-avion Béarn au large des Canaries. L’or sera déchargé à Hailfax (Nouvelle-Ecosse, Canada) le 1er juin et livré à la Réserve Fédérale de New York.  Pourquoi ce détour par le Canada ? C’est en raison du « Neutrality Act » (1939). En effet, il était interdit aux navires belligérants d’accoster aux Etats-Unis.

Le 16 juin 1940, le Béarn appareille d’Halifax pour Brest avec à son bord « 96 avions (48 bombardiers Curtiss Wright SBC-41, 23 avions de chasse et 25 de liaison) livrés par les Etats-Unis ». La Jeanne d’Arc transporte le reste de la commande à Halifax soit « 14 avions de chasse et de liaison. » C’est donc en pleine mer que l’annonce de la capitulation parvient au Béarn et à la Jeanne d’Arc, le 17 juin 1940. Dans la nuit du 18 au 19 juin, le capitaine de vaisseau Rouyer, commandant de la Jeanne d’Arc envoie un télégramme au CECFMF [commandant en chef des forces maritimes françaises] « Je continue route sur Brest en attendant vos ordres -Stop- Sans ordre de vous le 21 je ferai route sur Casablanca -Stop- Mazout permet éventuellement déroutement sur Antilles si vous donnez l’ordre avant 19 au soir ».  

Le 20 juin 1940, ordre leur est donné de regagner la flotte française en Martinique et ils entrent en rade de Fort de France le 27 juin. Le 28 juin, l’amiral Robert ordonne à la Jeanne d’Arc d’appareiller pour la Guadeloupe.

Il arrive à Basse-Terre, Elaine Sempaire cite dans son ouvrage un témoignage de Pierre Giraud, membre d’équipage de la Jeanne d’Arc à cette époque : « …le 1er juillet, le Jeanne d’Arc appareille pour Basse-Terre ou doit avoir le 1er juillet une séance extraordinaire du conseil général qui peut être « troublée ». Une compagnie de débarquement est envoyée à terre pour éviter un vote hostile au nouveau gouvernement. Mais le conseil général tient une séance calme ; et c’est le retour, le mercredi 3 à 16heures à Pointe-à-Pitre, où un télégramme annonce l’attaque de Mers-El-Kébir… » (p 30). Elaine Sempaire précise que le croiseur Jeanne d’Arc sera à quai de façon durable en Guadeloupe à partir du 10 juillet 1940. L’amiral Robert, et le gouverneur Constant Sorin vont prendre le parti du maréchal Pétain et de la France de Vichy entrainant l’ensemble des Antilles françaises également.

En ce qui concerne l’action des marins en Guadeloupe, Jean-Baptiste Bruneau éclaire ainsi le rôle du commandant du Jeanne d’Arc Pierre-Michel Rouyer (qui prendra également le parti de Vichy et sera proche de l’amiral Darlan) : « il se montre ainsi particulièrement rigoureux dans la gestion, de l’affaire du cargo Cuba, qui arrive à Pointe-à-Pitre, le 12 juillet, en décidant d’associer l’équipage de la Jeanne d’Arc aux forces de maintien de l’ordre. » (p 80).  Elaine Sempaire donne plus de renseignements sur les événements autour de l’arrivée du Cuba, à Pointe-à-Pitre. Elle rapporte que le commandant Rouyer fait également incarcérer Vigile Chatuant, propriétaire d’un hôtel de Pointe-à-Pitre. Le commandant Rouyer le soupçonnait d’avoir aidé deux officier radio à fuir le Jeanne d’Arc. Monsieur Chatuant sera incarcéré entre le 14 octobre 1940 et 28 mars 1941 (p51.  La dissidence an tan Sorin). Et pour plus de détails sur ce sujet je vous mets les références en fin de post.

Entre 1940 et 1943, le croiseur Jeanne d’Arc était donc aux Antilles françaises et plus particulièrement en Guadeloupe. Marie de Lavigne-Aubéry me précise aussi que « le 31 juillet 1943 à l’arrivée de Henri Hoppenot, elle sera envoyée à Porto-Rico, Bermudes via Casablanca puis Alger où elle sera modernisée et réarmée… ». Henri Hoppenot était délégué du Comité de français de libération national aux Etats-Unis en juin 1943. Il prendra les Antilles françaises sous son autorité en tant que ministre plénipotentiaire du CFLN (Comité Français de Libération Nationale) aux Antilles françaises. Je vous rappelle que la Martinique rallie la France libre le 14 juillet 1943 et que la Guadeloupe fera de même le 15 juillet. Le croiseur Jeanne d’Arc reviendra bien plus tard aux Antilles françaises, ses escales laisserons de meilleurs souvenirs que ceux de la période 1940-1943.

Pour mieux connaitre la période :

La dissidence en tan Sorin. Elaine Sempaire, éditions Jasor, deuxième édition 1999.

La Marine de Vichy aux Antilles 1uin 1940-juillet 1943. Jean-Baptiste Bruneau, Les Indes savantes, 2014,

Halifax 1940 : port de transit pour l’or européen. Marie de Lavigne-Aubéry. Northern Mariner, 2018.

https://www.cnrs-scrn.org/northern_mariner/vol28/tnm_28_139-157.pdf

Vous pouvez me contacter via le formulaire du blog, si vous avez des questions ou me faire part de vos commentaires.

Mille merci à Marie de Lavigne-Aubéry pour les très nombreux renseignements fournis.

Visitez également ces pages sur le croiseur Jeanne d'Arc et l'amiral Rouyer.

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