Adjudication des esclaves provenant de la prise du navire l'Ambitieux (Martinique, 1721)

13/04/2024 22:45

Entre le 22 janvier et le 7 août 1721, 1014 individus hommes, femmes et enfants, transportés par six bateaux différents, ont été vendu en Martinique : le Sainte Rose, armé à Saint-Malo, la Paix, la Fortune, le Saint Pierre et la Société armés à Nantes et le Saint-Jean Triomphant armé à la Martinique (1). Ces bâtiments sont issus de la traite négrière française. Mais ce n’est pas l’unique façon d’acquérir de nouveaux esclaves, pour les colons de la Martinique. Ils peuvent également acheter des esclaves issus de la traite dite étrangère, qu’elle soit légale ou pas. Ils peuvent aussi faire des acquisitions à partir des ventes issues de prises faites par les flibustiers, corsaires ou vaisseau de la marine de guerre régulière française.

Le Rouge, Georges-Louis. La Martinique une des antilles françoises de l'Amérique dressée sur les nouvelles observations. [Paris, 1753] Map. https://www.loc.gov/item/74691005/.

Aujourd’hui, nous étudierons le cas d’une prise d’un bateau opéré par un bateau du Roi commandé par le sieur de Malherbe, commissaire d’artillerie. Les circonstances de la prise du bateau l’Ambitieux, n’est pas détaillé dans le document dressé par Charles Bénard, commissaire de marine et Intendant des Iles du Vent de l’Amérique, siégeant à la Martinique entre 1719 et 1723. Le document est intitulé : « adjudication des nègres provenant de la prise du navire l’Ambitieux. »

Ce document précise que l’Ambitieux transportait « quatre-vingt-deux noirs tous « louangues ». Le terme « louangue » vient de la ville de Loango située dans l’actuelle République du Congo. La côte de Loango est dite de traite « libre » ouverte au commerce avec les Britanniques, les Néerlandais et les Français depuis la fin du XVII. Les esclaves peuvent eux provenir des royaumes voisins comme le Kongo, et être embarqués à Loango.

Source:fr:Jacques Bellin (1703-1772), Public domain, via Wikimedia Commons

Charles Bénard donne des précisions sur le nombre de captifs issus de l’Ambitieux à vendre à Fort-Royal (actuellement Fort-de-France) au profit du Trésor. Pour une meilleure compréhension, j’ai quelques peu modifié le texte original en ajoutant des virgules pour rendre le texte plus lisible et j’ai modernisé l’orthographe.

Habitants de Loango, jeux de cartes (1700-1799)/ Par Anonyme — This file was donated to Wikimedia Commons as part of a project by the Metropolitan Museum of Art. See the Image and Data Resources Open Access Policy, CC0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=61132726

« …Il en est mort deux avant le partage des nègres, par lequel partage il en est échu vingt-quatre à Sa Majesté desquels il en est mort un deux jours après le partage fait de manière qu’il en reste vingt-trois à vendre, pour laquelle vente nous avons choisi ce présent jour et dimanche par ce que tous les habitants descendent ce jour-là de leurs habitations à la ville pour le service divin. »

Vous avez bien compris, l’annonce de la vente se fait après la messe dominicale. C’est une pratique assez courante pour annoncer les ventes qui peuvent être faites par voie d’affiche ou à haute voix. Dans notre cas le délai entre l’annonce de la vente et cette dernière n’est pas précisée. Les ventes doivent être payées comptant au trésorier général de la marine, mais l’Intendant écris que les acheteurs disposent d’un délai d’un mois pour verser les fonds. Les prix sont exprimés en livres.

« … à laquelle vente nous allons procéder par plusieurs lots pour que tous ceux qui ont besoin de nègres en puissent avoir et procurer à Sa Majesté, une vente plus avantageuse, à laquelle vente M. Mesnier contrôleur n’a pu assister étant malade à Saint-Pierre :

Un nègre de l’âge d’environ vingt ans adjugé à M. Le Blanc maçon pour 750 livres a fait sa marque,

Un négrillon d’environ douze ans adjugé au Révérend Père Ange supérieur des Capucins pour 450 [livres] et a signé,

Une négritte âgée d’environ dix ans adjugée à M. Ringuet couvreur pour 450 [livres] et a fait sa marque,

Un nègre d’environ vingt [an] et une négresse d’à peu près quinze ans adjugée à M. Le Page charpentier pour 1250 [livres] et a fait sa marque,

Trois nègres d’environ dix-huit à dix-neuf ans adjugés au Sieur Hellos (?) pour 2000 [livres] et a signé,

Deux négresses l’une d’environ dix-neuf ans et l’autre d’à peu près quatorze ans, un nègre de vingt-cinq ans adjugés à M. De la Chassaigne capitaine d’infanterie pour 2000 [livres]et a signé,

Deux négresses d’environ vingt-cinq ans et l’autre de quinze adjugées au S. [sieur] Roussier (?) contrôleur du domaine pour 1300 [livres] et a signé,

Un nègre d’environ trente ans, un autre de douze ans et une négresse de vingt ans avec son petit enfant de quatre mois adjugez au S. [sieur] Page pour 1720 [livres] et a signé,

Une négresse d’environ vingt-cinq ans adjugée à la demoiselle Touzan pour 750 [livres] et a signé,

Trois nègres, un d’environ vingt-cinq ans et deux de chacun 30 [ans] adjugés au S. Page [sieur] pour 2400 [livres] et a signé,

Trois nègres d’environ vingt à vingt-cinq ans chacun adjugez au S. Renault pour 1975 [livres] et a signé, »

Le montant total de la vente est de 15 045 livres.

Détail de la carte de Le Rouge 1759, le Fort-Royal et la baie du Cul de Sac Royal

La vente a eu lieu à Fort-Royal. La ville est devenue chef-lieu de la colonie en 1662. La ville va connaître de très nombreux chantiers, dont l’assèchement des marécages pour la rendre plus salubre. Une église sera bâtie, des maisons, des magasins et un hôpital seront construits. Une ville avec un port sûr, un carénage vont participer au développement du site qui n’était qu’au départ que le Cul de Sac Royal

Les esclaves sont majoritairement employés dans les plantations. Or, cette adjudication permet de voir que les esclaves ne sont pas réservés qu’aux travaux agricoles. Vous pouvez les trouver chez des artisans, ou chez le personnel administratif, militaires et religieux de la colonie. Bref toute la société de l’époque cherche à acquérir des esclaves. Dans une ville comme le Fort-Royal, les esclaves occupent divers emplois certains sont domestiques, d’autres ouvriers, marins ou pêcheurs, mêmes s’ils sont rendus Invisibles par leur statut d’esclaves, ils participent très activement à la construction et au dynamisme économique du Fort-Royal. Cette adjudication est une aubaine pour les colons martiniquais qui se plaignent régulièrement de manquer d’esclaves à acheter.

Notes :

Etat des nègres introduits à la Martinique entre le 1er janvier 1714 et le 7 août 1721. Archives Nationale de l’Outre-Mer (ANOM) COL C8 A 29 F° 264.
Paul de Malherbe qui a occupé ce poste entre 1670 et 1742. Nous avons trouvé peu de renseignements sur lui, mis à part un dessin aquarellé des batteries de la Martinique en 1715 :

http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/ulysse/notice?id=FR_ANOM_13DFC114B

ANOM COL C8A29 F°111.